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Bien le bonjour, voyageur, et bienvenue à l'Adanunca. Je me nomme
Soelyne et je suis la conductrice de cette caravane. Vos pas vous
ont mené en ce lieu aussi je suppose que vous êtes un Inspiré. Comme
moi. Je serai ravi de vous offrir la protection de mon toit le temps
d'une soirée, pour parler du passé et esquisser le futur.
Cette caravane est le fruit des travaux de mon père, Megetto. Mon
père était un tailleur de talent, je dirais même de génie. Il composait
des robes sublimes pour les matriarches Carmes. Car mon père était
un esclave, ayant commis l'erreur de naître mâle dans les Terres
veuves. Son génie le fit conduire à la cours de la reine carme elle-même
pour lui composer la plus belle robe de tous les temps, une robe
composée de l'étoffe même des songes, ce doux tissu qui nous vêt
tous de l'autre coté du songe. Une tâche impossible pour toute autre
personne, mais Megetto fit son possible pour l'accomplir car la
vie de sa femme était en jeu. La reine avait en effet ordonné la
mort de celle-ci si le chef-d'oeuvre n'était pas accompli, arguant
que "le mâle est paresseux et ne déploie ses ressources que pour
protéger ce qui lui est cher". Quelles ressources dut déployer mon
père pour accomplir le prodige. Il fit alliance avec un Tisseur
de Cauchemar, une de ces créatures du Masque qui murmure aux rêveurs
une fois la nuit tombée. Le Tisseur lui apporta les soieries oniriques,
et mon père lui offrit son plus beau rêve. Après un mois de dur
labeur, la robe était faite et la reine, subjuguée, accordait à
mon père et à ma mère la liberté. Pour plaire à sa femme enceinte,
mon père décida de la ramener chez elle, dans les contrées urguemandes,
et confectionna une caravane aux couleurs vives et chatoyantes.
Il y mit tout son coeur et ses meilleurs tissus. Il traversa ainsi
le désert de Keshe, d'où était originaire la mère de ma mère et
arriva en Urguemand, où je vis le jour.
Avec ma naissance, la malédiction du Tisseur de Cauchemar reprit
le dessus. Mon père n'avait pas compris qu'en lui demandant son
plus beau rêve, la créature perfide avait signifié qu'il voulait
sa femme.
Ma mère mourut en couche, et ce fut mon père qui m'éleva. Fidèle
a la mémoire de sa chère épouse, il m'apprit tout sur ses origines
et ses coutumes. Il me fit sillonner le désert de Keshe et les baronnies
urguemandes. Mon enfance fut bercée
par le bonheur du voyage et par la tristesse de mon père. Je savais
qu'il ne blâmait que lui-même, mais en moi, je me suis toujours
demandée si l'on devait blâmer un antique pacte avec une créature
des songes, ou la naissance d'un bébé affaibli par un si long voyage.
Après douze années passées à m'éduquer, mon père rejoint sa femme
dans l'au-delà. Ce fut fait sans pleurs, sans larmes. Au moment
de mourir, un sourire de soulagement se peignait sur son visage.
Pour la première fois de ma vie j'étais seule.
Avec ma petite roulotte, je repris donc la route. Dans les villages
où je m'arrêtais, je gagnais ma vie en jouant de la musique, et
en récitant des poésies. Difficile de vivre ainsi me direz vous,
mais cela me réussit pendant une dizaine d'années. Je passerai cependant
sous le silence certaines choses "illégales" que je dus faire par
temps de disette. Disons que j'ai toujours été assez agile et que
la nuit et les villes n'ont que peu de secrets pour moi.
Un jour
d'automne cependant, alors que je me dirigeais vers Lorgol pour
y passer l'hiver, je crus entendre une étrange musique dans les
bois. Je quittais ma caravane et ma morosité pour atteindre la source
de la mélodie et quelle ne fut pas ma surprise de voir un grand
feu et une autre caravane. Au centre du cercle de roulottes, des
enfants étaient en train de danser alors qu'au-dessus d'eux
voletaient une dizaine de pixies. Les petits démons avaient ensorcelé
les bambins et comptaient les faire danser jusqu'à la mort pour
récupérer leur sueur et leurs ligaments. Je ne pouvais laisser faire
cela. En grimpant à un arbre, je réussis à me servir d'une vieille
tenture, récupérée dans ma roulotte, comme d'un filet avec lequel
je précipitais quatre des automnins dans le feu. Avec ma dague
j'en pourfendis l'un des derniers,
mais les autres me firent tomber de ma branche.
J'aurais dû mourir ce jour là, si Lynuel ne m'avait sauvée.
Lynuel me recherchait en effet depuis longtemps pour me révéler
ma Flamme. Il avait trouvé ma roulotte abandonnée sur le coté de
la route et comprit ce qui se passait. Aujourd'hui encore je ne
sais de quel sort il se servit pour détruire les automnins. Quand
je repris conscience, ses danseurs étaient à nouveau calmes et les
cadavres des pixies finissaient de brûler. Les enfants somnolaient
ivres de fatigue et de magie.
Lynuel me dit tout de la Flamme et de l'histoire secrète
de l'Harmonde. Il devint également mon instructeur dans l'art de
l'Emprise, la maîtrise des danseurs. Voilà maintenant dix ans que
nous sommes ensembles. J'ai trente deux ans, et je viens d'achever
mon apprentissage auprès de lui.
Je parcours toujours l'Harmonde, mais je ne suis plus seule. Lynuel
est resté à mes cotés même si il se fait vieux. Les enfants que
j'ai secourus cette nuit là sont devenus adultes et composent les
membres de ma caravane. Il ne s'agit plus d'une seule roulotte,
mais d'une dizaine de celles-ci, toutes parées de couleurs chamarrées
comme les affectionnaient tant Mégetto. Nous recherchons d'autres
enfants malheureux, ou orphelins et leur offrons une place parmi
nous. Le soir nous jouons dans les villages des Royaumes. Je pourrais
être heureuse, mais cela ne me suffit pas. Depuis la mort de mon
père je me languis de quelque chose, quelque chose que je n'ai pas
trouvée. Peut-être est ce là l'héritage de ma Flamme, peut-être
est ce le fruit de mon histoire. Je ne sais. L'avenir seul le dira.
Entre temps la route continue et elle est bien longue !"
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